Le nouveau ministre des Affaires sociales détaille pour « L’Orient-Le Jour » son parcours de militant FL et son exil.
« C’était le 26 avril 1994. Je suis passé voir mon père, je lui ai pris 1 000 dollars car je n’avais pas d’argent. Je suis parti pour Chypre, puis pour les États-Unis. Mes filles Sandra et Sabine avaient respectivement 3 ans et un an et demi. Elles m’ont suivi avec ma femme deux ans plus tard », se souvient avec émotion le nouveau ministre des Affaires sociales, Richard Kouyoumjian, qui a quitté le Liban quelques jours après l’arrestation du chef des Forces libanaises, Samir Geagea, le 21 avril 1994. C’était quelques semaines après l’attentat meurtrier de l’église Notre-Dame de la Délivrance de Zouk qui avait constitué un prélude aux arrestations dans les rangs des responsables des Forces libanaises et mené à la dissolution du parti. C’était la dernière fois que Richard Kouyoumjian voyait son père, décédé en 2001.
« Je travaillais dans le bureau de Samir Geagea, si je n’étais pas parti j’aurais sûrement été interrogé ou arrêté », dit-il. Il passera ainsi vingt-cinq ans en exil – dont onze sans jamais mettre les pieds au Liban – dans le Maryland, où il a été accueilli et soutenu par sa belle-sœur et sa famille. « Il a fallu du temps pour que je puisse exercer mon métier de dentiste en Amérique. Je devais retourner à l’université. J’ai donc opté pour un diplôme d’études supérieures », raconte-t-il. « Le plus difficile en 1994, c’était de faire face à la défaite. De réaliser que nous avions perdu, mais perdre ne veut pas dire baisser les bras », dit-il.
Richard Kouyoumjian, né à Batha dans le Kesrouan, d’une mère maronite de Daraoun et d’un père arménien-catholique de Rmeil, se dit animé par cet esprit de résistance propre aux militants des Forces libanaises, qui n’ont jamais arrêté de se battre pour leur cause en temps de guerre comme en temps de paix.
Premier retour
« Il n’est pas facile de faire face à la défaite ou de repartir à zéro, mais je n’avais pas le choix. Je ne pouvais que vivre dans le provisoire, je ne pouvais me projeter dans le temps que pour les cinq années à venir. Au début, les membres exilés des Forces libanaises n’ont pas adopté de position dure contre le président Élias Hraoui par peur de représailles contre Samir Geagea qui était en prison. Ce n’est que durant l’été 2000 que nous avons décidé de nous fédérer et d’agir. C’était peut-être quelques semaines avant l’appel des évêques maronites au retrait syrien du Liban (en septembre de la même année) », explique-t-il.
Richard Kouyoumjian, aujourd’hui âgé de 58 ans, passera ainsi 25 ans aux États-Unis. Il a tenu pourtant à ce que ses enfants viennent chaque année en vacances au Liban pour bien apprendre la langue arabe et préserver des liens étroits avec le pays. La première fois qu’il est lui-même rentré au Liban après son départ forcé de 1994 était en juillet 2005, juste après la libération de Samir Geagea de prison. Et depuis 2005 jusqu’à sa nomination au Conseil des ministres, il fera des allers-retours. Il passera ainsi un bon bout de temps au Liban en 2009, quand il se présente, pour la première fois, en tant que candidat des Forces libanaises aux élections législatives pour le siège arménien-catholique de Beyrouth.
C’est probablement à cause de ce long exil, de ce départ forcé du pays et de ce retour récent et presque triomphal, que Richard Kouyoumjian parle avec beaucoup d’émotion de son parcours, les yeux embués de larmes quand il évoque son père, ses camarades morts au combat ou encore le cèdre du Liban planté dans son jardin du Maryland, ou ses premières années aux États-Unis. « J’ai commencé l’entraînement militaire alors que j’avais 13 ans. C’était avec les Kataëb. C’est en 1977 que j’ai été pour la première fois au front. C’était la guerre du centre-ville. Je me souviens aussi comment nous passions en 1978 en bateau, de Jounieh à Beyrouth. J’ai perdu de nombreux camarades au combat et je refuse aujourd’hui d’entendre le discours qui dit qu’ils sont morts pour rien », dit-il, marquant une pause pour contenir ses larmes. « Nous nous sommes battus pour une cause. Nous avons lutté pour préserver notre place au Liban. Nous avons versé du sang pour rester dans ce pays. À tous les chrétiens qui ont perdu espoir, je dis qu’il n’est pas permis de baisser les bras. Que ce n’est pas parce qu’il y a la corruption ou les armes illégales qu’il faut partir. Les chrétiens doivent participer à la vie publique du pays, trouver des emplois dans l’administration. Ils ne doivent pas perdre espoir », martèle-t-il.
« Pas une victoire, mais un défi »
Malgré la montée de l’islamisme dans la région, Richard Kouyoumjian est optimiste quand à l’avenir des chrétiens au Liban. « Ce n’est qu’un mauvais moment de l’histoire, cette période passera. Il y a eu pire et jamais les chrétiens n’ont quitté le Liban, ils ne disparaîtront jamais de ce pays. » Son grand-père paternel, pharmacien à Istanbul sous l’Empire ottoman, est un survivant du génocide arménien. Fier de ses racines arméniennes et maronites, il continue sur la même lancée : « Est-ce que le génocide a eu raison des Arméniens ? Les Ottomans n’ont pas réussi à les effacer. Et aujourd’hui, l’Arménie, même si des territoires ont été perdus, est un pays qui existe et qui octroie la nationalité aux Arméniens du monde entier. »
« Mon père, Chahan, n’avait ni oncles ni cousins, car mon grand-père était le seul survivant de la famille. Il était élève de la Sagesse, il a ensuite suivi des études de dentisterie. Il a quitté Beyrouth pour Batha où il a ouvert sa clinique en milieu rural. Durant les années cinquante, il fallait suivre certains règlements et œuvrer pour le développement des régions. Mon père était aussi un chercheur et un chimiste. Il a entrepris maintes expériences dans ce domaine. Il avait une importante bibliothèque que je voudrais léguer à l’Université Saint-Esprit de Kaslik », dit-il.
Le jour de sa nomination à la tête du ministère des Affaires sociales, Richard Kouyoumjian s’est recueilli devant la tombe de son père en pleurant. « En 1943, mon père avait manifesté pour l’indépendance avec le parti Kataëb. Il a rejoint les rangs du parti durant les années cinquante. C’était un homme de droite, qui a toujours cru dans la convivialité du Liban », dit-il.
Que ce soit sur les bancs de l’école ou à l’Université Saint-Joseph où il a suivi des études de médecine dentaire, Richard Kouyoumjian a toujours servi la cause défendue par les Kataëb au début, les Forces libanaises ensuite. C’est en 1983 qu’il a rencontré Samir Geagea et, depuis, il est devenu très proche de lui. Considère-t-il le fait qu’il soit nommé ministre comme une victoire des Forces libanaises ? « Non, ce n’est pas une victoire mais un défi qu’il faut réussir. » Lors de son mandat, il compte donner la priorité aux familles libanaises les plus pauvres et aux personnes à besoins spéciaux. « Je ne veux pas trop promettre, je ne veux pas trop parler des projets. Je me donne un an pour faire la différence. Mon prédécesseur (Pierre Bou Assi, également FL) a balisé le chemin. Nous (les députés et les ministres des Forces libanaises) ne sommes pas là pour nous enrichir ou encourager la corruption. Nous sommes là parce que nous voulons vraiment travailler et faire la différence », dit-il.
Richard Kouyoumjian est père de deux enfants, Sandra, 29 ans, dentiste comme ses parents, et Sabine, 27 ans. Toutes les deux vivent aux États-Unis. Sa femme Rawia vit toujours aux États-Unis. Elle devrait rentrer prochainement au Liban.
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